La lettre de l'Irsem 2010 - n°4

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Notes d'actualités

« Affaire McChrystal » : la victoire en changeant ?
par le colonel Michel Goya, directeur d'études à l'Irsem

« AVERTISSEMENT: Les opinions émises dans ce document n'engagent que leurs auteurs. Elles ne constituent en aucune manière une position officielle du ministère de la défense ni institutionnelle. »

Le 23 juin, Barack Obama a relevé de son commandement le général Stanley McChrystal, commandant les forces de la coalition en Afghanistan, après la publication, dans le magazine Rolling stones, de propos très critiques de la part du militaire sur l'entourage du président.

Cette crise peut d'abord être interprétée comme une conséquence de la tension naturelle entre l'échelon stratégique et sa mise en ouvre opérative, cette dernière étant perçue au sein des forces américaines comme un champ réservé au militaire. Si les considérations de politique intérieure peuvent s'accommoder d'une guerre violente mais courte (la guerre du Golfe de 1991 par exemple) ou d'opérations longues mais suffisamment peu violentes pour rester sous-médiatisées (l'occupation du Kosovo), elles sont difficilement compatibles avec des conflits longs et meurtriers surtout s'ils n'engagent pas les intérêts vitaux de la nation, comme le sont généralement les guerres dites asymétriques. Dans l'espoir de réduire les coûts humains, et donc électoraux, le pouvoir exécutif est incité à compter les ressources accordées aux militaires, prompts alors à expliquer leur inefficience éventuelle par ce manque de soutien. Par ailleurs, plus cette tension est forte et plus les acteurs locaux anticipent l'échec de la force occupante. Ils tendent donc à lui refuser leur soutien, ce qui contribue au caractère auto-prédicatif de leurs anticipations.

En juin 2009, le remplacement du général McKiernan par le général McChrystal, avait pour objet de briser cette spirale négative, à charge pour le général de « modifier les anticipations » par un nouveau plan d'opérations. Avec une telle personnalité et avec le général Petraeus, à la tête du commandement régional américain, ce nouveau plan ne pouvait qu'être orienté dans le sens de la contre-insurrection, c'est-à-dire dans la définition américaine, plus axée sur la protection de la population que sur la destruction de l'ennemi. Mais alors même que cette approche était en cours de définition, plusieurs voix s'élevaient à Washington, et celle du vice-président Joe Biden en premier lieu, pour la contredire et proposer une concentration des efforts sur la destruction des organisations terroristes.

En décembre 2009, après plusieurs mois de débats, le président Barack Obama entérinait les propositions du général McChrystal, avec toutefois deux concessions majeures à la politique intérieure qui en affaiblissaient la portée : un volume de renforts deux fois moins important que demandé et l'annonce d'un début de retrait pour mi-2011. Il est probable que le général McChrystal a eu alors le sentiment de ne pas avoir été complètement suivi par « le haut », tout en peinant par ailleurs à convaincre complètement le « bas » du bien-fondé de son approche. Ses déclarations étonnantes reprises par Rolling stones peuvent apparaître comme le symptôme d'un regain de la « tension » politico-opérative alors que les grandes opérations lancées dans les provinces de Helmand et de Kandahar peinent à obtenir les résultats escomptés et que les pertes de la coalition n'ont jamais été aussi élevées.

Le limogeage assez brutal qui a suivi ces déclarations ne fait bien sûr qu'ajouter au sentiment de trouble qui préside depuis des mois la définition de la direction opérative. La nomination du général Petraeus, qui descend ainsi d'un échelon de commandement, témoigne toujours de cette volonté de frapper les esprits, à la manière d'un De Lattre arrivant à Saïgon après le désastre de la RC 4. Pour la deuxième fois, après l'Irak, Petraeus apparaît comme le « général de la dernière chance1 », seul à même par son habileté et sa notoriété de renverser une situation délicate. S'il réussit, le président Barack Obama aura à la fois « réussi » sa guerre et sans doute gagné un rival politique pour les prochaines élections. S'il échoue, la coalition sera probablement dans une impasse.
A signaler : Cahier de l'Irsem n°2, L'axe du moindre mal : Le plan Obama - McChrsytal pour l'Afghanistan

Notes :

1) Patrice Claude, « David Howell Petraeus. Le général de la dernière chance », in Le Monde, 24 janvier 2007.

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