La lettre de l'Irsem 2010 - n°3

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Dossier Stratégiques

Le Livre vert: sept questions - ou davantage - pour le prochain gouvernement
Par Irène Eulriet, chargée d'études, Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire (IRSEM)


L'élaboration d’une nouvelle Revue stratégique de défense1 , prévue pour le courant de l’année 2010, s’est longuement fait attendre. La précédente édition remonte à l’année 1998 ; son actualisation est nécessaire. Les bases de travail qu’elle posait ont en effet été contredites par les faits. La dernière Revue stratégique de défense envisageait que les forces armées du Royaume-Uni puissent mener de front deux opérations extérieures de petite ou moyenne envergure sur une durée limitée, ainsi qu’une opération de maintien de la paix de durée plus longue. Or, depuis 2001 et 2003 respectivement, elles ont servi sur deux théâtres majeurs d’opérations simultanément. A ce jour, près de 10 000 soldats sont présents en Afghanistan et plus de 3 500 demeurent stationnés au Moyen-Orient (le retrait d’Irak ayant eu lieu à la fin 2009) ; et ce, sans compter les nombreuses autres missions, militaires ou humanitaires, accomplies depuis 1999 (par exemple dans les Balkans ou en Sierra Leone).

En dépit des documents additionnels qui ont été rédigés au cours des dix à douze dernières années (qu’il s’agisse du Nouveau chapitre2 de 2002, des deux volumes du rapport intitulé Apporter la sécurité dans un monde changeant3 de 2003 et 2004, ou bien encore de la Stratégie industrielle de défense4 de 2005), le fossé entre les prévisions d’emploi des forces et la réalité n’a cessé de croître. En conséquence, les gouvernements travaillistes successifs ont eu à répondre à un feu nourri de questions sur leur gestion des opérations : toutes les contraintes que les engagements pris font peser sur l’institution militaire ont été abordées, qu’elles soient organisationnelles, opérationnelles, financières ou politiques.

En quelques années, les questions de défense ont ainsi gagné une visibilité parlementaire et médiatique exceptionnelle au Royaume-Uni. Que Tony Blair ait fait le choix d’une intervention en Irak malgré l’opposition d’un pan considérable de l’opinion publique et, initialement, d’un nombre important de députés travaillistes, n’est sans doute pas étranger à cette évolution. Mais des raisons liées aux conditions réelles d’emploi des forces ne jouent pas moins. Depuis les déficiences en matière d’équipements jusqu’au déploiement intensif de personnel en opérations, en passant par l’assistance médicale, apparemment décevante, portée aux anciens combattants (tous aspects ayant des répercussions possibles sur les vies humaines), la confiance entre décideurs civils et militaires a paru ébranlée.

En juillet 2009, Bob Ainsworth, actuel ministre de la Défense, annonça donc la rédaction prochaine d’une nouvelle Revue stratégique de défense, à la plus grande satisfaction des partis d’opposition qui le réclamaient depuis plusieurs années et, à n’en pas douter, des militaires. Il fut convenu que celle-ci serait élaborée à l’issue des élections générales, qui se tiendront le 6 mai 2010.

Le Livre vert présenté par la Baronne Taylor of Bolton, Secrétaire d’Etat chargé des questions de défense et de sécurité internationales, le 30 mars 2010 à l’Ecole militaire, s’intitule Adaptabilité et Partenariat. Il pose 7 « questions stratégiques principales », auxquelles devra s’efforcer de répondre le prochain gouvernement dans la Revue stratégique de défense à venir :
  1. Etant donné que sécurité nationale et internationale ne peuvent être dissociées, où devrions-nous situer le point d’équilibre entre l’attention portée à notre territoire et notre région et la riposte donnée aux menaces à distance ?
  2. Quelle approche devrions-nous adopter si nous employions les forces armées en réponse à des menaces à distance ?
  3. Quelle contribution les forces armées devraient-elles apporter afin de garantir la sécurité du Royaume-Uni et d’en favoriser la résilience?
  4. Comment pourrions-nous faire un usage plus efficace des forces armées dans le soutien apporté aux efforts plus larges déployés en vue de la prévention des conflits et de la consolidation de la stabilité internationale ?
  5. Nos relations de défense et de sécurité internationales actuelles ont-elles besoin d’être rééquilibrées sur le long terme ?
  6. Devrions-nous intégrer davantage nos forces avec celles de nos principaux alliés et partenaires ?
  7. Dans quelle mesure et dans quels domaines devrions-nous poursuivre la réorientation de nos efforts actuels en Afghanistan ?
Outre ces orientations, l’un des aspects les plus marquants du Livre vert tient à l’attention portée au soft power, dans un contexte stratégique où la persistance, voire la recrudescence, des menaces non-étatiques semblent constituer un élément fort de continuité. Le Livre vert porte donc la marque de la question des Etats fragiles, faillis, ou en passe de l’être. La réponse qu’un tel diagnostic appelle y est d’ores et déjà déclinée à deux niveaux: interministériel et international. Au premier niveau, il s’agit de poursuivre le travail de mise en cohérence des outils civils et militaires dans le domaine de la prévention et de la résolution des conflits. Les activités réalisées, à partir de 2004, par la Cellule de stabilisation5 (sous l’égide du ministère de la Défense6, du ministère du Développement international7 et du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth8) pourront en constituer l’amorce.

Quant au second niveau, le niveau international, il implique de renforcer les relations au sein des grands organismes multilatéraux ou de développer des relations bilatérales ciblées (sans que l’un soit exclusif de l’autre). Ici, il faut noter que les Etats-Unis apparaissent toujours comme un allié capital ; mais ils sont désormais un allié parmi d’autres (comme l’a précisé la Baronne Taylor dans sa présentation, s’appuyant sur un récent rapport de la Commission des Affaires étrangères ). Le fait que la France soit mentionnée dans le Livre vert en tant que partenaire privilégié du Royaume-Uni manifeste dès lors la volonté de multiplier les engagements réciproques. Ceci pourra se concrétiser au sein ou en dehors de l’OTAN, en capitalisant éventuellement sur les accords existants, notamment les accords de Saint-Malo. Dans ce cadre, les coopérations porteront sans doute autant sur la sécurité que sur la défense, quoiqu’aucune dimension ne puisse être écartée.

La possibilité d’une collaboration dans le secteur nucléaire a d’ailleurs été évoquée, il y a quelques mois, dans la presse française. A ce jour, cependant, la question du renouvellement (ou de la suspension) du programme de dissuasion nucléaire Trident a été exclue de la prochaine Revue stratégique de défense, d’un commun accord entre les deux partis majoritaires, travailliste9 et conservateur10 . Mais la montée significative des Libéraux-Démocrates11 dans les sondages, si elle trouvait une confirmation institutionnelle à l’issue des élections du 6 mai, pourrait éventuellement aboutir à une remise à l’agenda de cette question. Les Libéraux-Démocrates12 sont opposés, de longue date, au système d’armes Trident, entre autres pour des raisons budgétaires. Ils rejoignent ici le Parti National Ecossais , fervent détracteur des activités déployées à Faslane (Ecosse), base des sous-marins équipés de têtes nucléaires. Alors que les jeux restent ouverts jusqu’au 6 mai, la question nucléaire pourrait ainsi devenir, si les circonstances s’y prêtent, la huitième question de la prochaine Revue stratégique de défense.

En tout état de cause, les raisons budgétaires, qui fondent la position des Libéraux-Démocrates sur le dossier Trident, sont loin de ne représenter qu’un aspect secondaire des discussions à venir. La sortie de crise économique constitue une difficulté capitale : bien que la pratique d’une discipline budgétaire sans faille ne date pas d’hier au ministère de la Défense britannique (MoD), la situation a pris d’autres dimensions depuis 2008. Les Etats ont en effet atteint un niveau d’endettement inégalé en temps de paix et le Royaume-Uni figure parmi les plus fragilisés. Selon l’Institut d’Études Fiscales , des coupes budgétaires à hauteur de 18% à 24% s’imposeraient. Or, comme l’indique une économiste de cet Institut dans le Financial Times : « une coupe de 18% reviendrait à quelque chose d’équivalent au fait de ne plus employer d’armée de terre. » Pour le Royaume-Uni, comme pour nombre d’autres pays d’ailleurs, la mise en avant de l’ « adaptabilité » et du « partenariat » ne s’apparente pas à une simple préférence : elle est devenue une nécessité.

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Traduction
  • Strategic Defence Review
  • New Chapter
  • Delivering Security in a Changing World
  • Defence Industrial Strategy
  • Stabilisation Unit
  • Ministry of Defence (MoD)
  • Department for International Development (DFID)
  • Foreign and Commonwealth Office
  • Foreign Affairs Committee
  • Labour Party
  • Conservative Party (Tory)
  • Liberal Democrats (Lib Dems)
  • Scottish National Party
  • Institute for Fiscal Studies (IFS)